Vassili Nesterenko Le décès d’un défenseur des enfants

Le Pr Vassili Nesterenko, directeur de l’Institut BELRAD est décédé le 25 août. Il était malade depuis de nombreux mois sans cesser pour autant ses activités.

C’est une perte immense pour les habitants du Belarus qui vivent encore aujourd’hui dans des zones contaminées par l’explosion du réacteur-4 de la centrale de Tchernobyl, zones qui auraient dû être évacuées. Il a cherché à protéger les enfants du mieux qu’il a pu et les informations recueillies sur leur niveau de contamination interne sont fondamentales. Cette perte nous concerne directement car nous sommes tous sous la menace de la prochaine catastrophe nucléaire et elle peut survenir demain sur nos propres réacteurs comme sur ceux des autres pays.

Rappelons qu’au moment de l’explosion il était directeur de l’Institut de l’énergie atomique de Minsk. Il a survolé en hélicoptère le réacteur en feu avec Valeri Legassov (membre de la commission envoyée par Moscou) et conduira les opérations impliquant l’utilisation d’azote liquide afin de refroidir les débris du combustible nucléaire, de combattre l’incendie de graphite en neutralisant l’arrivée d’air, d’empêcher la progression dans le radier du corium (la masse en fusion du combustible). Il sera parmi les liquidateurs chanceux qui ont survécu, mais avec des souffrances permanentes, ces séquelles dues aux irradiations subies.

Au vu des débits de dose relevés dans les heures ayant suivi l’explosion du réacteur, il a réalisé l’ampleur de la catastrophe. Ce qui fait l’extraordinaire de cette vie d’apparatchik adulé par le régime soviétique c’est d’avoir brusquement pris conscience de ce que l’énergie atomique dite pacifique pouvait produire. Il a demandé sans succès aux autorités la distribution d’iode stable à la population. De son propre chef il a immédiatement transformé les scientifiques de son institut en mesureurs de la radioactivité, de l’air, du sol, des aliments. Il a demandé sans succès l’évacuation des habitants jusqu’à 100 km du réacteur et on l’a accusé de vouloir semer la panique. C’est principalement dans ces zones, en bordure de la zone interdite et de la zone évacuée en 1986, que la terre est toujours contaminée à faible profondeur et qu’en plus du rayonnement externe les enfants incorporent encore aujourd’hui du césium 137 radioactif (Cs137) via la nourriture produite localement. En certains endroits il y a aussi du strontium 90, du plutonium, et de l’américium 241.

Bien sûr il a été démis de ses fonctions. En 1990, grâce à l’aide du physicien Andrei Sakharov, de l’écrivain Ales Adamovitch, du champion d’échecs Anatoli Karpov il crée l’Institut indépendant de radioprotection BELRAD, rejoint par quelques anciens collègues. La première tâche de BELRAD sera de fabriquer des radiamètres utilisables facilement par la population. Mais ce qui constitue le travail inégalé de BELRAD c’est d’être allé sur le terrain, dans des localités contaminées de districts essentiellement ruraux, et d’avoir mis en lumière la contamination interne chronique des habitants qui affecte leur santé en particulier celle des enfants, par la mise en œuvre de la mesure de la charge corporelle en Cs137 de milliers d’enfants, grâce à des spectromètres spéciaux embarqués dans des véhicules. Mesures de la contamination de la nourriture, mesures de l’activité corporelle, il a pu vérifier le rôle primordial du lait quotidien contaminé fourni par la vache du paysan, de celui des baies des forêts, des champignons, des produits de la chasse et de la pêche et ainsi donner des conseils aux instituteurs et aux parents. Il a distribué aux enfants de la pectine de pomme qui élimine partiellement le Cs137 incorporé. A l’aide de ces mesures il s’est battu pour que des villages ne soient pas exclus des listes administratives donnant droit à certaines compensations. Rappelons qu’il s’agissait pour les enfants de ces villages exclus de ne plus avoir de repas « propres » gratuits dans les cantines scolaires, ni compléments nutritionnels venant de l’étranger, ni séjour en sanatorium un mois par an, ni visite médicale approfondie etc. Les droits seront rognés par le gouvernement Loukachenko en même temps que pleuvront sur BELRAD les ennuis administratifs, toujours surmontés par BELRAD. Vassili Nesterenko était préoccupé par la présence du strontium 90 et aurait souhaité la mise au point de spectromètres qui permettraient de mesurer facilement ce radionucléide émetteur bêta qui s’accumule dans les os et agit sur la moelle osseuse.

Ces derniers temps il finalisait un atlas des activités spécifiques des enfants (charges corporelles par kilo de poids corporel, exprimées en becquerels par kilo) liées à la contamination interne chronique ayant pour objectif de rassembler les dizaines de milliers de mesures effectuées depuis 1990 dans les différents districts du Belarus.

BELRAD doit continuer. Et c’est possible car Vassili Nesterenko a formé son fils Alexei et les membres de son équipe. BELRAD va continuer sous la direction d’Alexei. Il a été élu vice-président de l’association « Enfants de Tchernobyl Belarus » lors de la dernière assemblée générale.

Aider BELRAD à poursuivre le travail de protection des enfants est le meilleur hommage qu’on puisse rendre à Vassili Nesterenko.

B. B. novembre 2008.