Projection des films "Le sacrifice" et "Controverses nucléaires" à l'Ecole nationale supérieure des officiers sapeurs pompiers (ENSOSP) le 17 juin 2008


Wladimir Tchertkoff


    Wladimir Tchertkoff

Invité par L'Ecole Nationale Supérieure des Officiers Sapeurs Pompiers (ENSOSP) près d’Aix-en-Provence pour faire une conférence, j'y ai passé une semaine entière du lundi 16 au vendredi 20 juin. Le thème était “Le risque radiologique et nucléaire : de la prévention à la gestion des crises”, dans le cadre du master Risques et Environnement, qui durait depuis deux ans et se terminait cette semaine. La conférence était précédée par la projection des films “Le sacrifice” et “Controverses nucléaires”.

Initialement ma présence sur le site était prévue pour le mardi 17, mais les organisateurs ont accepté que j’assiste aux autres travaux de la semaine pour ma culture personnelle et pour continuer, suite aux informations que j’aurai fournies aux participants du master, à mettre en parallèle leur compétence spécifique de terrain et leur supposée méconnaissance de ce qui s'est passé et se passe actuellement dans les territoires de Tchernobyl. Je souhaitais vérifier ce doute au cours des séminaires suivants. Depuis trois ans, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a initié des simulations de scénarios d’accidents graves en France, miniaturisés, sans commune mesure avec la catastrophe de Tchernobyl.

Bref aperçu sur la science des sapeurs pompiers

J'ai été impressionné par l'approche scientifique et la stratégie avec laquelle les sapeurs pompiers français affrontent les feux de forêt, en visant le phénomène au stade des “feux naissants”: par un système de vigilance permanente d'hélicoptères et un maillage serré de tours de guet pour la détection des premières fumées dans les territoires forestiers. L’originalité du système français consiste à investir le maximum de moyens sur la réduction des délais d’intervention.
Pour être traité efficacement, un feu doit avoir parcouru moins d’un hectare lorsque les premiers intervenants arrivent sur les lieux. Cela implique une détection précoce des départs d’incendies mais également, en raison des difficultés d’accessibilité liées à un relief accidenté, la mobilisation préventive des moyens d’intervention pour leur permettre d’assurer le quadrillage du terrain avant tout départ d’incendie.

Tous les moyens, qu’ils relèvent de l’Etat ou des collectivités territoriales, qu’ils soient aériens ou terrestres, ont un rôle à tenir dans ce dispositif. Une partie de la flotte d’avions bombardiers d’eau se consacre presque exclusivement aux missions de guet « armé » (en eau) qu’ils conduisent à partir de 5 bases délocalisées.

La conférence du professeur Albert Simeoni de « L’Università di Corsica Pascal Paoli» m’a frappé par l’ampleur et la finesse de la recherche scientifique consacrée aux feux de forêts. Les connaissances acquises déterminent et orientent les stratégies et les comportements opérationnels. Durant la période estivale, le niveau de risque (indice réparti en 5 classes allant du risque faible au risque très sévère) est défini quotidiennement pour 90 zones homogènes par croisement de paramètres portant sur la réserve en eau des sols (qui permet d’apprécier la situation de stress hydrique des végétaux donc leur vulnérabilité au feu), le vent, la température et l’humidité relative de l’air. D’autres éléments sont aussi pris en compte tels que le nombre des départs de feux suspects, le comportement des populations concernées ou la vulnérabilité particulière de la végétation. Des travaux pluridisciplinaires affinent la précision de cet indice et son exploitation par les services de terrain. Pour anticiper le risque, des structures cohérentes sont mises en place à 3 niveaux en s’appuyant sur des centres opérationnels fonctionnant 24 h sur 24 : local, zonal, national.

Bref, des moyens importants, des partenaires multiples, un bon échange d’informations, permettent de mettre en œuvre le dispositif préventif efficace.
Pourquoi cette digression ?

L’enseignement de Tchernobyl ignoré

Pour montrer la différence avec ce qui n’est pas mis en place concernant les risques du nucléaire. Car au niveau concret des sapeurs pompiers français rien de semblable aux connaissances et aux moyens mis à leur disposition par l’Etat pour les feux de forêt (pour ne parler que de cet aspect de leur activité multiforme), n’existe face au danger d’un accident majeur prévisible, représenté par les 58 réacteurs en service sur le sol français. En communiquant pendant quelques jours avec les participants du master, professionnels de haut niveau de formation, j’ai constaté que ces intervenants français de première ligne en cas de catastrophe du type de Tchernobyl ne savaient rien des enseignements élémentaires que cette expérience unique pouvait leur apporter. Ce n’est pas avec moi qu’ils auraient dû parler mais avec les « liquidateurs » encore vivants, parmi lesquels des scientifiques, des spécialistes, des techniciens, qui sauraient trouver un langage professionnel commun de grande utilité avec les collègues français.

Si j'ai été impressionné à l’ENSOSP par le niveau intellectuel et la qualité humaine de ces professionnels compétents et généreux (décider de faire ce métier est un choix d’hommes motivés), je les ai vus également impressionnés, mais en sens inverse: scandalisés, incrédules par ce que les deux films leur ont révélé sur la désinformation, d’abord soviétique puis mondiale, et sur ses conséquences.

J’ai repris pour eux les thèmes de mon intervention à la conférence internationale «Vivre Tchernobyl » organisée à Lyon les 15 et 16 mai par le Conseil Régional Rhône-Alpes. J’ai parlé d’un crime dans les territoires contaminés du Bélarus, de populations utilisées comme cobayes et d’experts français (CEPN, Mutadis Consultants), qui viennent « occuper le terrain » dans ce pays pauvre, ravagé par une catastrophe sanitaire croissante, qui recueillent des données en évinçant les chercheurs locaux au lieu de les soutenir et qui refusent systématiquement une prophylaxie qui s’est montrée efficace pour les enfants contaminés.

J’ai parlé de la censure et des obstacles à la recherche scientifique indépendante mis en place par les états membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et par les agences spécialisées de l’ONU dans le domaine de l’atome et de la santé. Parlant à des sapeurs pompiers, «intervenants du premier groupe» équivalents des «liquidateurs» soviétiques, j’ai développé l’idée que la rétention d'informations aux intervenants, - qu’il s’agisse de pompiers ou de médecins, - constituait l’obstacle majeur à « la prévention des risques et à la gestion des crises » . Le devoir de réserve, nécessaire et justifié dans certains cas précis et limités, n’est pas la loi du silence et en tout cas ne peut pas être appliqué à l’information scientifique indépendante sans léser à la racine la capacité d’intervention clairvoyante des corps de l’Etat préposés à la protection des populations. L’impératif « secret défense » dans le domaine du nucléaire risque de limiter dangereusement la recherche du savoir et l’information indispensables pour l’efficacité et la crédibilité des institutions en cas de crise. (La recherche médicale sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl est censurée, alors qu’on sait que le coefficient de risque de la production atomique de l’énergie électrique est sans commune mesure avec celui de toute autre technologie de production de l’électricité. Aucune compagnie ne commet la folie d'assurer une centrale atomique.)

J’ai informé mes auditeurs sur « la stratégie de l'ignorance »1) et sur « le crime des agences de l’ONU »2) qui cachent les effets sur la santé des faibles doses incorporées et qui ont exclu de leurs recherches épidémiologiques la cohorte des 800 000 liquidateurs, qui ont sauvé l’Europe en évitant une explosion atomique des quatre réacteurs de la centrale de Tchernobyl.

L’année dernière, en écoutant le face-à-face télévisé entre les deux candidats à la présidence de la République, on pouvait constater qu’ils étaient insuffisamment avertis des questions les plus simples du dossier nucléaire. Il est évident qu’un chef de l’Etat ne doit pas être nécessairement médecin ou physicien. Comme tout responsable politique, il est conseillé et informé sur le nucléaire par des experts, qui dans le cas de la France sont une émanation du lobby nucléaire et n’ont de ce fait aucune crédibilité scientifique. Les travaux de ces “experts” servent les intérêts commerciaux et de groupe du nucléaire civil et militaire dont ils dépendent. Corps séparés de l’Etat au service d’institutions de l’Etat, ils cautionnent par leurs publications les choix politiques du gouvernement dans le domaine de l’atome.

Cette courroie de transmission d’un savoir biaisé, commandité par les organismes intéressés dans le nucléaire, est flagrante dans le cas de l’étude sur le retour d’expérience de la gestion post-accidentelle de Tchernobyl PAREX [Post-Accidentel Retour d’EXpérience], que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a confié en 2005 aux experts liés au lobby nucléaire en matière de prophylaxie (CEPN et Mutadis Consultants), dont il est question plus haut. Leur retour d’expérience comporte des erreurs grossières et des oublis. Il ne traduit en rien la réalité vécue des habitants contaminés par la catastrophe. 3)


1)
« Le crime de Tchernobyl » 1ère partie, chapitre 5, p 79 « La stratégie de l’ignorance » - Wladimir Tchertkoff, Ed. Actes Sud 2006

2)
Ibidem 2ème partie, chapitre 8, p 206 « Le crime des agences de l'ONU ».

3)
Bella Belbéoch - « La gestion post-accidentelle d'une urgence radiologique sur une de nos installations: quelques remarques sur Tchernobyl et le “retour d’expérience 1986-1991” », Lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine, n°116, mai-juin 2008. http://www.dissident-media.org/stop_nucleaire