Atteintes directes à la santé attribuables à Tchernobyl


Les effets des faibles doses de radiations

Elena Bourlakova1)

Merci de me permettre de présenter le résultat de mes recherches devant le tribunal. Etant invitée à présenter mes recherches ici et non à l’AIEA, je suis très surprise de constater que les recherches menées sur les modifications biophysiques et biochimiques chez les liquidateurs et des enfants, n’intéressent apparemment pas les experts de l’AIEA. En effets ceux-ci estiment que les conséquences cliniques des radiations dépendent linéairement de la dose d’irradiation. Selon eux, ce n’est que lorsque cette dépendance est mise en évidence que l’on peut affirmer que des effets sont causés par les radiations.

Bien avant l’accident de Tchernobyl, nous avions étudié l’effet des faibles doses et nous n’avons pas trouvé de dépendance linéaire. Il ne s’agit pas d’une dépendance monomodale. Dans beaucoup de cas, cette dépendance est bi ou polymodale.

En augmentant les doses à partir de très faibles doses, on peut même trouver une diminution des effets.

Nos résultats montrent qu’en augmentant les doses à partir de très faibles doses, nous notons d’abord un accroissement, puis une décroissance, puis à nouveau une croissance des effets.

Nos données prouvent que l’absence de dépendance linéaire de la dose n’est pas l’œuvre de l’innocuité des faibles doses de radiations. A l’AIEA, ils affirment que l’absence de dépendance linéaire entre la dose de radiation et les effets observés démontrerait une cause indépendante des radiations. Ceci leur permet de conclure que les augmentations de la morbidité sont liées au stress psychologique et non pas aux radiations.

Vu qu’ils estiment que les faibles doses reçues par les gens sont inoffensives, ce dogme leur permet de poursuivre la construction et l’exploitation des centrales atomiques, d’enfouir les déchets radioactifs. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quant au stress psychologique, il est provoqué selon eux par les reportages sur Tchernobyl à la télévision, dans la presse, dans des conférences, etc.

Nos expériences sur les animaux et nos études chez l’homme montrent l’origine radiogénique des maladies observées dans notre pays.

Ce tableau (fig. 28) présente les modifications électrophorétiques des membranes cellulaires, et de la structure du génome en fonction de l’augmentation des rayonnements ionisants à partir de très faibles doses. Nulle part nous ne voyons de courbe linéaire avec l’augmentation des doses.

Courbes bi-modales ( —— DNA de la rate, _ microviscosité du foie) chez des souris irradiées, en fonction de l’accroissement de la dose, avec un débit dose de 41x 10-3 mGy/m. Les courbes présentent deux pics similaires à 60, respectivement 120 mGy (faibles doses), et à 1800 mGy (fortes doses)

La figure suivante (fig.29) montre une autre expérience sur les souris : vous voyez que nous obtenons le même effet avec 6 centiGy et avec 180 centiGy. Pour les doses intermédiaires, les effets sont plus faibles. Cette courbe démontre ainsi que les effets des faibles doses sont plus importants que ceux des doses plus élevées.

Courbes bi-modales de l’évolution du DNA de la rate de souris irradiées en fonction du débit dose (—— débit lent : 4,1×10-3 mGy –1, _ débit rapide : 41x10x10-3 mGy –1)

Nous pourrions expliquer ce phénomène par une réaction aux radiations reçues, par un processus de réparation lorsque les doses augmentent. A très faibles doses, le processus de réparation ne s’enclenche pas. Ceci explique le très grand nombre de troubles qui n’entraînent pas de processus de réparation.

Nous avons présenté nos résultats à notre communauté scientifique. Ils nous ont dit que nous n’ avions étudié que les animaux, et que les gens ne sont pas des animaux. Disant ceci, ils savaient bien sûr qu’il n’est pas possible, pour des raisons éthiques fondamentales, d’expérimenter l’effet de différentes doses de radiations sur des êtres humains.

Après Tchernobyl, nous avons entrepris des recherches chez les liquidateurs. Très souvent, nous avons trouvé que les atteintes à la santé ne dépendaient pas de la dose reçue, en particulier les altérations chromosomiques. Nous avons étudié les paramètres biochimiques : par exemple la vitamine E, la vitamine A, les variations de la peroxydation lipidique, l’incidence des radicaux libres etc. puis nous avons comparé ces chiffres avec le status antioxydant de l’organisme que nous avons comparé aux modifications du status immunologique.

Lorsque nous étudions l’évolution du status antioxydant et du status immunologique sous l’effet des doses croissantes, nous trouvons deux courbes similaires. Nous trouvons une corrélation des abberrations chromosomiques avec la dose, et des modifications correspondantes du status antioxydant. Dans les deux cas, ce sont de très faibles doses qui ont induit les différences les plus grandes par rapport au groupe contrôle. Dans d’autres groupes, cet effet apparaît avec des doses plus faibles encore. Le même effet existe pour le status immologique. Une dose d’environ 10-15 centiGy induit une modification maximale du status immunologique.

Nous savons que l’état de santé de nos liquidateurs et de nos enfants a subi de très grandes altérations, avec pour conséquence une morbidité accrue pour toutes sortes de maladies. Vous retrouverez la même courbe chez les liquidateurs et chez les enfants. Ceci contredit absolument l’opinion selon laquelle ces maladies résulteraient uniquement de troubles psychologiques.

Nous avons étudié la dépendance de la dose de diverses maladies chez les liquidateurs. Les modifications des maladies cardio-vasculaires, digestives, neurologiques, etc., représentent les mêmes caractéristiques. Le premier pic se trouve à environ 15 centiGy. En étudiant le nombre des maladies entraînant l’invalidité totale sur 1000 personnes, on voit que le pic est atteint avec une dose d’environ 6-10, voire 15 centiGy.

Les courbes de morbidité et de mortalité par cancers des liquidateurs présentent également les mêmes caractéristiques à la dose. Les mêmes courbes sont obtenues pour le cancer de l’estomac et du système digestif, également pour la mortalité par cancer de l’estomac.

En conclusion , pour le faibles doses, la courbe de dépendance des effets n’est pas mathématiquement linéaire. Il s’agit d’une courbe plus compliquée. Or actuellement encore, quand un médecin n’obtient pas de corrélation linéaire pour une maladie par rapport à la dose, cela signifie que cette maladie n’est pas causée par la radioactivité. Il lui est en conséquence interdit d'évoquer une origine radiogénique pour cette maladie.

La réalité est que les très faibles doses peuvent induire les mêmes maladies que des doses bien plus élevées.

Ma troisième conclusion est la suivante : le fait que des résultats similaires soient obtenus pour des maladies similaires chez les enfants, les liquidateurs ainsi que les survivants des bombes atomiques ( fig.30 et 31), prouve la nature radiogénique des maladies que nous observons actuellement dans les zones contaminées par Tchernobyl, et excluent qu’elles soient dues à un stress psychologique.

Fig 30. Pourcentage de morts par leucémie chez des victimes des bombardements atomiques, des accidents nucléaires, et chez des ouvriers travaillant dans l’industrie nucléaire. Les chiffres du tableau correspondent aux point de la figure 31.

Fig 31. Morts par leucémies ( par 100.000 personnes/ an), en fonction de la dose de radiation reçue. Les chiffres du tableau correspondent aux chiffres du tableau 30.

Il existe bien sûr un stress psychologique, vu la gravité de la situation, mais ce n’est pas lui qui est à l’origine de toute cette pathologie.

Elena Bourlakova*,
Tchernobyl, conséquences sur l'environnement, la santé, et les droits de la personne,
Vienne, 12-15 avril 1996,
Tribunal Permanent des Peuples,
Commission Médicale International de Tchernobyl


1 Elena B. Bourlakova est médecin, Professeur à l’Institut Semenov de Physique Chimique, Académie des Sciences de Moscou.